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Un mémorial pour les oubliés

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Nous les côtoyons tous les jours. Souvent ils sont ivres et peinent à mendier. Ils sentent mauvais, vocifèrent et font peur. Nos regards se détournent. Qui sont ces marginaux aux visages ravagés ? Ce sont les clochards. Victimes de la société et de ses lois.

C’était en 1986, à Nanterre, avec Médecins du Monde. Patrick Declerck ouvrait la première consultation de psychanalyse destinée aux personnes sans-abris, avec cette espérance folle : il soignerait les âmes des clochards, les guérirait de la maladie mentale et du désespoir.
En plus d'un repas chaud, d'un comprimé, d'une couverture, il voulait donner à ces fous de pauvretés, ces fous d’alcools, l’écoute d’un psychothérapeute. Il passa ainsi quinze ans de sa vie avec eux, quinze ans à les regarder, à les écouter. De cette expérience il tirera un livre témoignage aujourd'hui porté à la scène par Emmanuel Meirieu : Les Naufragés, avec les clochards de Paris, pour faire entendre la parole de cet homme parti vivre avec les misérables, ce bon samaritain d’aujourd’hui.

Depuis dix ans, Emmanuel Meirieu adapte des romans à la scène, et toujours sous la forme de témoignages. Face au public, au micro et seuls en scène, des êtres viennent se raconter, brisés, viscéralement humains.

« Au théâtre, je crois d’abord aux mots et aux histoires pour dire ce que nous vivons, ce que nous ressentons, au plus profond de nous-même. Je suis convaincu qu’on peut faire du théâtre de milles façons, après quinze ans de travail, j’ai trouvé la mienne : un personnage vient se raconter à vous, tout simplement. Quand je fais du théâtre, je veux que les spectateurs oublient que c’est du théâtre. Je veux que, dès les premiers mots prononcés, ils croient que celui qui leur raconte son histoire est celui qui l’a vraiment vécu, comme dans un groupe de parole. Qu’ils croient que les acteurs prononcent ces mots-là pour la première fois de leur vie, et qu’ils le font pour eux. Il n’y a qu’au théâtre que le personnage d’une histoire est physiquement présent comme cela devant nous, vivant, dans le même endroit du monde et au même moment, respirant le même air, séparé simplement de quelques mètres de nous. Il n’y a qu’au théâtre qu’il peut s’adresser directement à nous, vous pouvez  presque le toucher. Ces personnages de roman devenus des hommes de chair et d’os, des êtres vivants, humains, crèvent le quatrième mur pour se confier à nous, partager leurs émotions. C’est nous qu’il regarde, c’est à nous qu’ils parlent. Ce ne sont plus des monologues de théâtre, ce sont des témoignages, des faits vécus par la personne qui nous les raconte. »

 

Avec Les Naufragés, Emmanuel Meirieu nous donne à écouter le témoignage d’un homme parti vivre avec les oubliés, les naufragés, les indigents. « J’ai voulu pour ces hommes fracassés, sans paroles, sans histoires, sans traces, ériger une sorte de monument. Un mémorial qui leur ressemble un peu. Un peu de travers donc. D’un goût douteux parfois. Quelques pierres sans plus. Presque ruines. »