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Il y a dans Peer Gynt trois grands axes :
le MENSONGE (ou affabulation), le SOI (être soi ou être à soi), le CONTOURNEMENT.
La question de l’affabulation à celle du soi ordonne l’ensemble même de la pièce.
La question de la fuite pose celle de la liberté, du refus de toute contrainte.
Dans une réflexion politique aujourd’hui, Stéphane Braunschweig résumait en disant que Peer Gynt est « l’histoire d’un type qui essaie de s’en sortir tout seul » sorte d’apologie de l’individualisme.
Le mensonge est énoncé dès la première réplique : « Peer tu mens ». Suivi des autres postulats «Tout est faux, tout est fou ». « Tu vois tu n’oses pas » (qui pose la question des actes, des tentatives d’actes et plus tard du contournement).
Il est significatif que ce postulat soit énoncé par la mère car c’est un personnage ambivalent qui fait porter à son fils la lourde responsabilité de réparer les fautes du père, de combler ses frustrations de femme et en même temps, martèle l’idée du contournement. Il y a dans la relation quelque chose d’éminemment incestueux et injonctif à quoi tente d’échapper Peer, y compris dans la relation à Solweig qui le ramène à la mère.
L’autre question posée par l’affabulation est celle du récit de soi : tout comme les enfants Peer Gynt se laisse emporter par son imagination et il y croit. Il transfigure aussi ce qui lui arrive. Mais à force de raconter des histoires, il finira par perdre son rapport au réel et aboutir à l’asile de fous du Caire.
Cette question du récit de soi est capitale : n’est-on pas ce que l’on raconte de soi ? On se construit par les récits de soi, par les représentations que l’on se fait de soi à travers les figures, les rôles (les peaux successives dont se dépouille Peer Gynt et les pelures d’oignon). Il faut se reporter au très beau texte de Antoine Vitez de 1982 ; « déposer à terre les vêtements imaginaires ; courir nu ; échapper aux simulacres » et sa citation de Stanislavski « Que cherchez-vous en vous-même ? Cherchez devant vous dans l’autre qui est en face de vous car en vous-même il n’y a rien ».
Et c’est cette question fondamentale de l’altérité qui est sans cesse présente dans Peer Gynt ; la pièce est éminemment politique parce qu’elle renvoie à l’individualisme contemporain, à la question de l’individu confronté à la décision, à l’action ou à son repli. Chéreau parlait de « l’impasse du moi ; de l’enfermement en lui-même »
On rejoint Socrate qui invitait à faire le détour par l’altérité ; du coup la question essentielle du contournement résonne de plusieurs manières… peut-être la nécessité du détour par l’autre ; mais peut-être aussi le fait d’éluder (sens du mot norvégien Gä-Utenom) la question ou la décision ; ne pas s’engager. Ce à quoi nous renvoie notre monde ; chez les Trolls le « suffis-toi toi-même » renvoie aux norvégiens très clairement par leur nationalisme mais renvoie aujourd’hui à toute démarche de repli et de lâcheté.
Combien la question est urgente aujourd’hui !
« Il y a dans l’acte IV la projection dans un monde asilaire avec la fin annoncée de la Raison et l’arrivée annoncée du «triomphe de la folie sanglante aux mains de l’homme médiocre, du dernier commentateur » (François Regnault).
Begriffenfeldt, fou suprême renvoie à la figure du Docteur Mabuse à travers lequel Fritz Lang brosse le tableau du climat du pré-nazisme : désir de la toute puissance entre autres… Peer Gynt serait dans son désir de devenir empereur du monde (première partie de la pièce) un partenaire privilégié mais qui dénonce sans cesse par ses rencontres la suprême folie du monde en train de se défaire.
À l’aune de nos impuissances et de nos peurs, Peer Gynt est ce personnage qui en quête sans cesse de découvrir son Moi ne décide de rien et aboutit au rien de sa fin de vie…