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Note dramaturgique du spectacle

Note dramaturgique de Venus’Erotica

 

Le féminin singulier

 

"L'écrivain est atteint de toutes les formes du déséquilibre : une malédiction, un cri de douleur s'élève de ses livres", constate Virginia Woolf dans Une chambre à soi. On peut en croire l'auteur des Vagues, victime de graves dépressions et qui mit fin volontairement à ses jours dans les eaux glacées de l'Ouse, en 1941. Dans une lettre à Milena Jesenskà, Kafka va plus loin encore, affirmant : "Nul ne chante plus purement que ceux qui sont au fond de l'enfer." Est-ce à dire que toute grande œuvre détruit, pour exister, son auteur, au terme d'une alchimie qui le réduit lui-même en cendres ? La femme poétesse ou artiste n'échappe point à cette malédiction; n'est-elle pas en quelque manière l'héritière de ces marginales accusées de sorcellerie qui gravissaient les degrés menant au bûcher ? Qui parlait de grillon au foyer ! La femme/flamme connaît l'essence intime du feu : elle est la Fenice toujours renaissante. Voyez-la porter l'étincelle à travers les millénaires d'obscurité, toujours anonyme, parant au plus pressé, sauvant les meubles ou les brûler sans cesser d'engendrer la vie entre deux agonies… A la lueur du brasier qui la consume, on commence à distinguer les traits de la Voyante : créatrice dans le verbe, la couleur ou l'image : celle-là même que Rimbaud annonçait : "Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme-jusqu'ici abominable-lui ayant donné son renvoi, elle sera poétesse, elle aussi ! Le femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres ?- Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses."

 

Première approche de ce cortège de Sibylles enfin échappées des sombres grottes où elles furent si longtemps reléguées, Venus'Erotica, à travers les figures de Sylvia Plath et d'Anaïs Nin, montre ce qu'il en coûte de vivre et de penser hors des sentiers battus. Le parcours de ces rôdeuses à la lisière d'un royaume sans lumière tient à la fois du cauchemar et de la féerie, fréquemment imbriqués, vécus par une conscience haletante et torturée. Toutes les deux ont en commun un rendez-vous manqué avec l'Idéal. Toutes les deux sont frappées dès l'enfance par quelque traumatisme inavouable mais là où Anaïs Nin s'achemine d'un pas confiant vers l'Obscur, Sylvia Plath, elle, se voit happée inexorablement entre les dents de la machinerie infernale de la destinée. Ces créatrices vivront constamment exposées sous le signe de L'Apocalypse. Toutes les deux sont des marcheuses au bord du gouffre.

 

En outre, le corps écrit, le texte qui respire, se meut et s'émeut, n'est jamais absent de l'espace littéraire au féminin. Les métaphores charnelles abondent, comme chez la surréaliste d'origine égyptienne Joyce Mansour, béguine du dieu noir Eros aspirant au "désir du désir sans fin" : "L'enfer des femmes, affirme-t-elle, prend naissance dans leur corps." Refusant de se voir réduite au rôle de la photocopieuse organique dans la maternité, la femme peut se lancer à la conquête d'elle-même quitte à se perdre parfois au sein de ses propres dédales. Orlando, le personnage de Virginia Woolf, est homme, puis femme, ou homme-femme-comment s'y retrouver ? Il n'y a pas si longtemps, la poétesse, n'était encore qu'une ligne en bas de page composée en caractères minuscules. À l'instant où nous la voyons surgir enfin de son trou et progresser, pieds nus, dans la lumière, il nous semblait opportun de saluer ces deux guerrières transfigurées par leurs blessures, non sans se rappeler ce vers de Sappho : "Quelqu'un plus tard se souviendra de nous".

 

 

Solène Petit.

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