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Showgirls est un film de danse et sur la danse, au même titre que Flashdance, autre scénario de Joe Esterzhas, avec ses propres rites, dont celui de la scène de l’audition, un classique, que l’on voyait déjà dans All that Jazz, Fame ou Chorus Line. Esterzhas et Verhoeven se permettent d’ailleurs un clin d’oeil à Alvin Ailey, dont le nom est prononcé au détour d’une conversation entre Nomi et James.
La chorégraphe, Marguerite Pomerhn-Derricks, qui est une ancienne danseuse de ballet, a un parcours qui nous intéresse particulièrement puisqu’elle a créé de nombreuses chorégraphies pour des films comiques, comme Austin Powers ou Tropic Thunder où le style de danse est parodié (ici, le disco). De là à penser que dans Showgirls, elle use de ce talent il n’y a qu’un pas, que nous pourrions d’ailleurs nous-mêmes tenter de franchir avec plaisir.
Il nous faudra notamment trouver notre propre version de la fameuse danse du volcan, que l’on voit à plusieurs reprises dans le film (en plusieurs parties, intitulées Goddess, ou bien encore Avenging Angels). Une chorégraphie de la catastrophe, une chorégraphie over the top d’aujourd’hui.
Notre showgirl sera d’abord immobilisée à la Beckett (Oh les beaux jours), prisonnière de son volcan, mais parfois prise de mouvements violents, grâce à un jeu dynamique caractérisé par une tension musculaire et une certaine raideur du corps, la voix sera modulée de façon anormale jusqu’à ce qu’elle atteigne un staccato rauque ou se transforme en un cri : sa bouche libre d’entrer en éruption grâce à un jeu hyperbolique, expressionniste, un jeu caractérisé par une forte anti-psychologie, dans le but d’atteindre une forme de transcendance émotionnelle menant à la danse. A l’instar du jeu, la danse sera aussi hyperbolique, chaque geste suivi d’un cri, d’un halètement, d’un souffle… Et c’est alors, comme le dit Paul Verhoeven, que le volcan pourra exploser, et des flots de lave envahiront le paysage, fumerolles, geysers, magma. Au beau milieu de ces tremblements, de ce chaos et de cette panique, de cette agitation, la terre s’ouvrira et de cette fissure béante, de cette bouche ardente, émergera la déesse, combinaison de toutes les mythologies de la terre mère, Gaia, la terre nourricière vers laquelle tous accourront. Elle diffusera un sentiment de confiance et d’apaisement. Les mouvements se feront plus fluides, plus coordonnés, pour parvenir enfin à une danse sensuelle de célébration.
Entre danse de séduction, danse érotique, danse de pouvoir, danse à la table, jeux de regards, pole dance et modern jazz énervé, il y a évidemment beaucoup de corps dans Showgirls, et Verhoeven, pour qui la beauté du sein féminin n’a pas d’égal, et qui aimait passionnément Fellini (Huit et demi), signe avec Showgirls un film sur l’exploitation des corps féminins du prolétariat, dessiné au pinceau de l’abjection.
Concernant le traitement de la danse dans le film, Linda Williams (directrice des études de cinéma de l’Université de Berkeley, Californie) écrit : « On nous informe plus d’une fois que la danse de Nomi n’est que chaleur et coups de reins, mais que ce n’est pas de la « vraie » danse ». L’assistant chorégraphe de Goddess le dit à sa manière : « Elle a le truc, ça s’enseigne dans aucune classe ». Le film danse littéralement et métaphoriquement autour de la nature de ce « truc »: la ligne entre la baise et la danse est de plus en plus floue. Dès que Nomi danse on dirait qu’elle est train de faire l’amour, et vice versa. Il n’y a pas de désir sexuel pur et il n’y a pas non plus de danse pure dans Showgirls. Peut-être que la haine de la critique pour ce film est due à l’absence de vraie scène érotique pure qui ne soit pas teintée de jeux de pouvoir ou stylisée par la danse. Le magazine Variety écrit : « le film ne fait que flirter avec le sexe sans jamais l’éroticiser ». Cela veut probablement dire qu’ils auraient préféré qu’il y ait au moins une vraie scène torride de pur sexe, et pas encore une fois de la danse… » Et malgré la full frontal nudity, c’est un film non pas sur le sexe mais plutôt sur la performativité du genre, et c’est sûrement la raison pour laquelle il fut sauvé par les drags queens, et par le camp. Susan Sontag écrit que le camp est une expérience du monde vu sous l’angle esthétique, qu'il représente une victoire du style sur le contenu, de l’esthétique sur la moralité. Vu sous cet angle, Showgirls c’est la victoire de l’ironie sur le tragique.
La figure de la danseuse au cinéma est souvent double : soit le personnage se révèle (Dirty dancing, Ballroom dancing, Billy Elliot etc…) soit il grimpe les échelons de la société puis réussit ou s’effondre (Fame, Black Swan, Les Chaussons Rouges...). Ici, l’évolution du personnage de Nomi Malone se fait en parallèle d’une évolution de la chorégraphie à travers l'ascenseur social de la danse à Las Vegas : from whore to lap dancer to stripper to showgirl. C’est la mythologie populaire de la danseuse : la gloire ou le caniveau. On retrouve ça aujourd’hui particulièrement dans le monde des danses urbaines, le krump, le hip hop, où c’est la sueur de la danse qui permet de sortir de sa condition sociale, c’est le travail physique qui compte et pas l’origine sociale (voir Rise de David Lachapelle). Dans tous les films de danse, qui parlent de danse, être le meilleur, réussir par son acharnement au travail physique et spectaculaire est la donnée de base du scénario.
Et même si Showgirls est un film assez classique dans sa construction (comme 42nd street par exemple) c’est ce thème de la fallen woman qui lui confère une force supplémentaire. Le terme a souvent été associé au monde de la prostitution, qui était à la fois la cause et la conséquence de la « chute » de ces femmes. Les danseuses et les comédiennes ont souvent été considérées comme des femmes déchues, parce qu’elles déviaient du droit chemin en se laissant regarder par les hommes pour leur travail. Nomi Malone est une sorte de Lola Montez, danseuse et courtisane, maîtresse de Louis de Bavière, et à sa manière, on pourrait dire que whatever Nomi wants, Nomi gets, et c’est la danse qui lui permet de s’élever. C’est d’ailleurs ce que dit l’actrice elle-même, Elizabeth Berkley, montrant encore une fois un parallèle troublant entre le personnage et la comédienne : « Je me suis préparée à ce rôle toute ma vie. 2 ou 3 heures de danse par jour pendant douze ans, la danse est dans mes os, dans mon cœur, dans mon sang. Je suis comme Nomi, je ne peux pas exister sans danse dans ma vie. J’ai de la chance d’avoir trouvé quelque chose qui me donne tant de vie, de joie. »
Marlène Saldana