accueil > Note d'intention
Je dédie « Le iench » à mon frère Sériba et à mon père Amadou Doumbia, disparus en 2017 et 2019.
La Famille. Tout le monde en a une, on peut l'aimer ou « la haïr », parfois les deux à la fois.
Souvent on a en tête celle de la publicité ou de l'audiovisuel : un couple, parfois séparé, quelques enfants, des relations qui se tendent les jours de fête, des mères aimantes qui se révoltent contre leur condition de femmes, des enfants qui se jalousent, des pères autoritaires, copains, ou dépassés. Cette famille-là est universelle, mais pas complètement.
La famille d'origine asiatique, juive, maghrébine ou sub-saharienne est différente... toute en étant similaire. La famille au théâtre français est souvent bourgeoise, blanche, et quand elle ne l’est pas, elle vit dans une HLM, souvent sordide. En tant que spectatrice, lectrice de théâtre, et en tant qu’artiste j’avais ce manque d’une famille autre, en tout cas, un peu différente. Avec d'autres personnages.
En adaptant Chester Himes, Léonora Miano ou Maryse Condé, j'avais pu trouver des personnages noirs, mais rien qui puisse permettre au public de s'identifier à une famille lambda qui s'appellerait Koné, Massamba ou Nzongo. Après la publication par Vents d'Ailleurs de mon premier récit, j'ai eu envie de me mettre à écrire cette famille-là pour le théâtre. Je voulais une histoire sensible, intime un peu drôle aussi, à laquelle l'on puisse toutes et tous s'identifier.
Puis Adama Traoré a été tué, j'ai pensé à mes proches. Je me souviens de nuits pleines d'angoisses. Ce décès a imprégné le texte en train de s'écrire. Mes personnages refusent de subir, ils veulent pouvoir choisir. Drissa veut sortir de tous les clichés, il ne veut être ni délinquant noir ni une exception (le fort en foot, le chanteur de soul, le scientifique doué qui a pris l’ascenseur social). Mais ni lui, ni ses amis ou sa sœur « ne sont des cellules isolées », et ils ne peuvent changer des représentations qui les dépassent. Malgré leurs efforts, ils glisseront.
Eva Doumbia