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La Genèse
A la création du Nid de Cendres - épopée théâtrale, spectacle fleuve, fruit d'une aventure de troupe de cinq ans, Wajdi Mouawad me proposa la possibilité d'une prochaine création au sein du Théâtre National De la Colline. « Penser le geste suivant... »
Je me devais de requestionner ma place de créateur : comment attiser à nouveau la nécessité de création ? Quelle place, quel constat poétique, devais-je adopter face à ce monde ? Un constat de désœuvrement ou un constat d'espoir ?
« A quoi bon des poètes en des temps de détresses » dit Holderlin.
Je décidai alors de me plonger à nouveau dans un conte. Un conte familial et un conte sur l'acte de création lui-même. Les Etoiles est une pièce baroque par sa construction et par sa forme. Un tissage qui mêle plusieurs codes théâtraux - le drame familial, le mélodrame, la comédie, la farce, l'oratorio, l'épopée – plusieurs mondes poétiques et plusieurs temporalités. Une perle irrégulière. Une écriture où tout est affaire de résonance, pour six acteurs jouant treize personnages.
Pièce Baroque
Les deux pièces et la diffraction du temps.
L'idée de départ est simple, un jeune poète perd les mots le jour de l'enterrement de sa mère et s'enferme dans sa chambre, dévasté par son chagrin. A l'extérieur, il se met à pleuvoir. Le chagrin du ciel recouvre le village qui devient un lac. Les cimes des maisons ressemblent à des îles à la surface de l'eau. Dans sa chambre, allongé sur son lit sans bouger, Ezra fait un voyage immobile, métaphysique, jusqu'à la retrouvaille de ses mots, au cœur d'une nuit étoilée, nuit primitive. Ainsi la pièce est un perpétuel aller-retour entre deux mondes. Le monde de la chambre et du voyage poétique d'Ezra, le monde de la maison et de la vie quotidienne d'une famille endeuillée. Ces deux mondes cohabitent d'un côté et de l'autre d'une porte. Ils cohabitent sans se voir, sans se comprendre. Ils se rentrent dedans sans s'en rendre compte. Ils dansent l'un avec l'autre sans le savoir. Ils se tissent l'un à l'autre. Les Étoiles est une diffraction du temps. Face à l'obstacle de la mort de Zocha, le temps se diffracte. Les temporalités se démultiplient, se choquent, se rencontrent. L'enfant Ezra croise l'adulte Ezra. L'adulte Ezra croise Zocha, sa mère, quand elle est une enfant. Le père vieillard croise la femme qu'il a aimé quand elle était encore jeune et belle. L'amante d'Ezra, Sarah, prend le visage de Zocha etc... Ce magma, ce mélange du temps, des situations intimes et des situations rêvées permet à Ezra de retrouver le fil originel, de retrouver le sens de sa vie.
Nous ressentons parfois cette sensation intime, proche du songe : marcher au bord de la nuit, accompagné par notre double enfant - partir en voyage vers le masque de notre vieillesse - reconnaître dans une jeune femme, la femme aimée et disparue.
Un monde de figures et de marionnettes.
La pièce est peuplée d'hommes, de femmes et de figures. D'une scène à l'autre nous passons d'un univers tchekhovien épuré et simple, à la maison de l'oncle juif dans Fanny et Alexandre de Bergman. Un monde fourmillant et merveilleux. Un grenier, endroit d'une théâtralité archaïque faite d'objets magiques. L'oncle Jean qui peint des figures de bois dans une forme d'art brut, en est le premier magicien. Ce sont ses figures de gouache et de charbon qui accompagneront notre héros Ezra dans son voyage jusqu'aux étoiles. L'enfant Ezra lui aussi fait des marionnettes, confectionnées en bave et en papier. Des dieux mythologiques inventés qui prennent corps pour accompagner leur créateur dans ce voyage à la recherche des mots. Ce monde de prosopopées graphiques est notre première ligne de travail pour penser l'espace. Un espace nu, fourmillant d'accessoires, d'objets, où les acteurs viendront créer avec peu de choses le miracle de l'illusion.
Les six acteurs, manipulateurs, danseurs, artisans interprètent une quinzaine de personnages, font apparaître les lieux dans une ronde effrénée où chaque détail nous rappelle au tout de la fable.
La vie poétique et la vie matérielle.
Les Etoiles est aussi une pièce sur l'acte de création. Face à la douleur du deuil, Ezra s'enferme pour vivre une vie poétique et passe à côté de la vie pratique. Sans qu'il le sache, de l'autre côté du mur de sa chambre, le temps avance, son enfant naît, son père vieillit, son oncle découvre l'amour. Tous ses proches toucheront aux petits bonheurs simples de la vie matérielle tandis que lui traversera les épreuves des affres poétiques. Quand il sort de sa chambre à la fin de la pièce, vingt-cinq ans sont passés. Il a 52 ans. Il a vécu une aventure de l'esprit mais sans goûter au véritable bonheur. Sa vie aura été étrangère au reste de la société des hommes.
Simon Falguières, Septembre 2019