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Compagnie Non Nova - Phia Ménard
En 2016, non sans surprise, nous recevons par courrier une invitation de la Documenta.
L’objet est la commande d’une œuvre performative ou d’une installation de la quinquennale d’art contemporain documenta d14 de Kassel (Allemagne) sous le commissariat de Adam Szymczyk et Paul B. Preciado. Cette édition tenait en deux interrogations comme fil conducteur : « Apprendre d’Athènes » et « Pour un Parlement des Corps ».
Après avoir séjourné à Kassel et Athènes, j’ai choisi de travailler autour d’Athènes, est-ce le berceau d’une Europe mythifiée et Kassel, un berceau d’une Europe monstrueuse ?
Pour nous Européens, la République d’Athènes est un berceau de mythes, une histoire étudiée autant que romancée, la capitale de naissance de la philosophie autant que du théâtre.
Kassel pourrait s’enorgueillir d’être la patrie des frères Grimm, mais comme beaucoup de villes allemandes, c’est l’encombrante tâche historique du passé nazi de 1933 à 1945 qui marque la cité. C’est dans cette ville en ruines de l’après-guerre au milieu d’une l’Europe détruite que fut imaginé de reconstruire et soigner une population par l’art et l’éducation avec la « documenta ». Ce projet majeur a été institué pour prévenir et soigner la possible rechute de cette infection.
C’est orientée par ce projet de rééducation que j’ai imaginé une série de performances en forme de contes que je nomme « La Trilogie des Contes Immoraux (pour Europe) », une trilogie autour de la construction et de la destruction d’une cité : Europe.
« Partie 1 : Maison Mère » : L’ère des Dieux. Le conte de la déesse construisant la première maison de l’Humanité. Un chemin fastidieux si vite détruit.
« Partie 2 : Temple Père » : L’ère du Pouvoir. Le conte de la tour de cartes, un rituel sadomasochiste.
« Partie 3 : La Rencontre Interdite » : L’ère des invisibles. Le conte qui nous implique.
En juillet 2017, nous achevons et présentons la première partie, Maison Mère. Suite aux demandes budgétaires de la Documenta sur l’ensemble des créations, les deux autres contes restent en suspens !
2020 …
Je ne pouvais imaginer qu’une pièce, une construction de l’imaginaire ne soit rattrapée par un réel. « Maison Mère », la première partie des Contes Immoraux (pour Europe) créée en 2017 était un essai, sur un monde construit avec peine, longueur de temps et qui s’effondre par des éléments incontrôlables. Cette pandémie l’a déplacée de fantasmagorie en récit métaphorique.
Je voudrais écrire « la » au lieu de « cette pandémie », comme pour espérer qu’elle soit unique, un drame passé. Non, c’est acquis, il nous faut vivre avec, cohabiter, habiter avec bon gré mal gré.
Relire cette question, « Apprendre d’Athènes », c’est comprendre que nous sommes rappelés à l’humilité face au vivant et veiller à ne plus faire n’importe quoi sur cette planète que nous partageons. Athènes fut dévastée par la peste il y a longtemps ; comme elle, nous avons cru y échapper.
Et pourtant passée la sidération, il faut bien constater que nous n’avons pas encore su en tirer les conséquences…
Passés l’état de choc et l’interrogation des nécessités, j’ai compris que « La trilogie des Contes Immoraux (pour Europe) » résidait dans ce présent chargé.
Reprendre possession de l’imaginaire, c’est pour moi un chemin pour sortir de l’effroi : donner corps, la base d’une réappropriation de l’altérité et le désir d’inventer de nouveaux rituels.
Vous trouverez ici une tentative de pensée née dans un monde qui n’a su voir le crash de son accélération et qui se poursuit dans l’incertain. De « Maison Mère » à « La Rencontre interdite » en passant par le « Temple Père », une série de trois contes faits de rituels et d’architecture. Des corps esseulés, des combats sans victoire, des jeux dans des environnements en apparence sans danger…
Phia Ménard