accueil > Note d'intention
Je pense notamment à une phrase de Mallarmé qui dit qu'il faut "redonner du sens aux vieux mots de la tribu". Et je trouve que c'est précisément ce que font les personnages de Baldwin. On a l'impression qu'ils sont dans l’errance mais ils luttent pour donner du sens aux choses. Pour donner de la cohérence à ce qui n'en n'a pas. Ils sont les premiers à s'émouvoir et à s'étonner de la fragilité des êtres, de leur beauté, de leurs forces et de leurs échecs. Rien n'est moral. Tout donne à penser. Surtout l’amour. La façon qu'on a de s'aimer, soi -même et les autres. Mais aussi le rapport au temps. Le destin et le hasard et le fascinant jeu de la mémoire qui tente inlassablement de ne rien perdre. De comprendre.
C'est ce fil rouge, emmêlé, complexe de la mémoire de Hall, le narrateur de Harlem Quartet, que nous allons suivre. Et à travers lui l’histoire de son petit frère Arthur. De Julia et de Jimmy. Autour du quatuor s'organise d'autres quatuors, celui des trompettes de Sion par exemple, le groupe d'Arthur, le quatuor familial de Hall avec sa femme et ses enfants, celui de son enfance avec ses parents et son frère.
C'est dans ce temps étrange, cet "entre-temps" suspendu du deuil l, que les souvenirs vont refaire surface. Le passé apparaît sans cesse, ressurgit sans cesse dans le présent. Les actes fondateurs de ce qu'ils devinrent. Les premières fois. Toutes les premières fois.
Mais les faits sont nourris du regard de Hall, de ce qu'il sait, de ce qu'il a appris. Il arpente son passé avec la connaissance qu’il en a. Avec l'immense affection qu'on a pour ceux que l'on a aimé, qui sont morts et que l'on comprend enfin.
Que l'on comprend après coup.
À travers leurs rages de vivre, leurs intensités à s'aimer envers et contre tout, c'est tout un pan de la vie américaine noire que nous entrevoyons. Ce qui nous intéresse c'est à la fois la langue de Baldwin mais aussi son engagement politique et ses réflexions sur le monde. Celles d'un homme noir américain qui aime les hommes dans les années soixante.
Kévin Keiss