accueil > L'Éloge du risque
Je prends la route que je suppose qu’il a choisie. Je ne sais pas pourquoi, ce que je cherche, mais je roule, je roule un peu plus vite que les voitures que je dépasse, et je pense que je vais le rattraper, je vais le rejoindre avant la frontière, me dis-je, et je m’imagine l’instant où j’aperçois sa voiture devant moi, je me rapproche, je me décale sur l’autre voie et remonte à sa hauteur, je klaxonne brièvement, lui fais signe, et avec un mouvement brusque de la voiture je déporte la sienne, nous mettant tous les deux en danger.
Une pensée, rien d’autre.
Arne Lygre: Nous pour un moment (traduction française Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, L’Arche éditeur, 2019)
“Risquer sa vie” est l’une des plus belles expressions de notre langue.
Est-ce nécessairement affronter la mort – et survivre… ou bien y a-t-il, logé dans la vie même, un dispositif secret, une musique à elle seule capable de déplacer l’existence sur cette ligne de front qu’on appelle désir ? Car le risque – laissons encore indéterminé son objet – ouvre un espace inconnu. Comment est-ce possible, étant vivant, de le penser à partir de la vie et non de la mort ?
À l’instant de la décision, il interroge notre rapport intime au temps, il est un combat dont nous ne connaîtrions pas l’adversaire, un désir dont nous n’aurions pas connaissance, un amour dont nous ne saurions pas le visage, un pur événement.
Anne Dufourmantelle: Éloge du risque (Éditions Payot & Rivages, 2011)