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Extraits de la pièce

Avant-goût

Années 1920 après Jésus-Christ, dans une ville du Nord Viêtnam nommée Nam Dinh, naissent deux sœurs

L'aînée s'appelle Nhan, la cadette Kieû

Elles sont filles d'un mandarin lettré

Le Viêtnam est alors sous occupation, sous colonisation française

Que pense le mandarin de la présence française ?

Je l'ignore, mais l'instruction de ses filles lui importe : il les inscrit à l'école des sœurs – une école catholique, tenue par des religieuses vietnamiennes

Les missionnaires européens qui ont évangélisé le pays, par le glaive ou le goupillon, y ont formé un clergé indigène

Et la foi chrétienne s'est inscrite, végétation superficielle, ou arbuste aux racines profondes

 

À l'école des sœurs, Nhan et Kieû apprennent l'histoire héroïque des Sœurs Trung

Qui fait sans doute vibrer leur cœur

À l'école des sœurs, Nhan rencontre l'amour brûlant de Jésus Christ, qui lui entre dans la chair Kieû non : le Christ, le Père et le Saint Esprit, tout cela glisse sur elle, comme le souffle d'une libellule

 

Extrait de Deux sœurs, Marine Bachelot Nguyen publié dans le recueil Basta !
Les Intrépides de la SACD, L'Avant-Scène, 2018.

 

 

Enfant, j’avais l’impression de venir de nulle part. De m’être déplacée comme un grain de sable aux prises avec le vent. D’avoir pris le bateau sans valise, l’avion sans passeport. D’avoir traversé le Sahel, le Sahara, la Méditerranée sans même me rendre compte des forces nécessaires pour que je puisse naître à Dijon. Vies déplacées et clandestines. « Anomalie là où personne ne m’attend ». Fruit de combats intimes, fragiles, inscrits dans la terre jaune de Dakar au Sénégal ou dans le vert des plantations de bananes de Dimbokro en Côte d’Ivoire. Des pieds d’enfants courent en tongs, sans se douter qu’ils passeraient leur vie à l’étranger, loin de chez eux. Qu’un jour, ils ne rêveraient plus dans leur langue d’origine, en wolof ou en baoulé, mais que le français remplirait tout l’espace, même celui dédié à la nuit, aux esprits et aux songes. Que la langue s’éteindrait peut-être à la génération suivante, la mienne. Je suis bègue en wolof et muette en baoulé.

 

Extrait de Sutures, Penda Diouf

Texte publié avec Pistes aux Editions Quartett, 2021

 

Halal

Petite je croyais que les boucheries de mon quartier portaient le nom de mon grand-père

Halal

Il y a bien une différence entre le ح de « halal » et le ع de « allal »

Mais comme dans ma famille rien n’était écrit

Je lisais le nom de mon grand-père partout.

Allal mon grand-père a participé à la seconde Guerre mondiale en France

ça paraissait plausible qu’en Normandie son nom figure entre

La place du Général du Gaulle, l’avenue Franklin D. Roosevelt,

La rue des Fusillés et celle des déportés

A l’époque les mots halal, bio, tirailleur ou goumier étaient inconnus au bataillon

Le poulet du tajine et ses frites surgelées venaient directement du supermarché

Chaque été quand j’allais au Maroc

Je m’asseyais près de mon grand-père

Pour entendre les mots qu’il avait appris pendant qu’il servait dans l’armée française

 

Extrait de La sacoche et l'invaincue de Karima El Kharraze