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RENATA
Moi, j’ai proposé d’organiser une rencontre avec ma grand-mère parce que c’est quelqu’un qui a eu un métier assez original, en lien avec la mort, et qui se pratique presque plus, je crois.
Elle s’appelle Renata Mariani. Elle a 97 ans et elle vient d’un petit village de Balagne, en Corse. Elle parle très vite et elle rit très souvent, et chaque fois qu’elle rit, elle ferme les yeux comme une enfant.
Elle a perdu son mari en juin 2003 d’un cancer du poumon. Il fumait comme un pompier, mon grand-père, des Gitanes, au moins deux paquets par jour, ça a été réglé en trois semaines. C’était pendant la canicule. Elle a été très triste de perdre son Jo mais disons que… c’est pas que qu’elle était prête, parce qu’on n’est jamais prêt en fait, mais en tout cas elle était d’une certaine manière préparée. Parce que sa vie a été une longue préparation à la vie qui vient après la mort. La vie de ceux qui restent. Elle a beaucoup côtoyé la mort, ma grand-mère et elle dit que ça l’a aidée que les choses, à son époque, soient très ritualisées. Elle est très en colère quand elle voit la manière aujourd’hui dont les rituels ont disparu pour célébrer la mort.
« Moi, j’étais maga. C’est-à-dire… je ressens des choses, je vois des choses. J’ai des intuitions très fortes et dans mon village, ça s’est très vite su.
Il se trouve aussi que mon arrière-grand-mère (donc mon arrière-arrière grand-mère à moi), Victoire elle s’appelait, c’était la pleureuse du village. Donc la pleureuse, c’est celle qui exprime le chagrin pour le mort au nom du village. C’est-à-dire qu’elle aide l’âme du mort à passer. Passer dans l’au-delà, vous avez compris. C’est très sérieux, attention attention.
Alors, moi je dis « âme », mais enfin, appelez-ça comme vous voulez. La conscience, vous voyez. L’énergie spirituelle, si vous préférez. Il y a quelque chose en plus du corps, ça je crois qu’on est tous d’accord. Votre pensée, votre mémoire, vos sentiments, voilà, votre intelligence, tout ça, ça ne dépend pas que de votre corps. Il y a bien quelque chose qui n’est pas le corps à l’intérieur de nous. Bon. Moi, je dis âme, vous dites ce que vous voulez.
Donc moi, j’ai pris la suite de mon arrière-grand-mère et j’ai été une des dernières pleureuses de Balagne.
Ce qu’il s’est passé, c’est que nous les Corses, on est très catholiques. On a notre église, notre manière de faire. Je ne vous apprends pas que Dio vi salvi Regina c’est l’hymne de la Corse. Bon. Vous avez compris.»
(Elle se met à chanter, sa voix, assez grave, retrouve des aigus comme oubliés, parfois ça déraille.)
« Dio vi salvi Regina e madre universale per cui favor si sale al paradiso, voi siete gioia e riso di tutti i sconsolati di tutti i tribolati unica speme… »