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COUR D'ASSISES DE MANHATTAN : Le juge David Getzoff appelle à la barre Valerie Solanas pour audience de comparution immédiate dans le cadre du procès opposant l’État de New York à Valerie Solanas.
VALERIE : Merci infiniment. Ce n’est pas tous les jours que je tire sur quelqu’un et que j’ai l’honneur de venir ici.
COUR D'ASSISES DE MANHATTAN : Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.
VALERIE : Je n’en doute pas une seconde.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Informations personnelles sur la suspecte. Nom : Valerie Jean Solanas. Âge : trente-deux ans. Domicile : aucun. Etat civil : célibataire. Profession incertaine, la suspecte se déclare écrivain. Née à Ventor, en Géorgie, le 9 avril 1936.
VALERIE : Hé, ho ! Ho, monsieur, qu’est-ce que vous savez de l’amour ?
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Vous êtes accusée de tentative de meurtre, voire d’assassinat.
VALERIE : Ah bon.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Le chef d’accusation définitif n’est pour l’heure pas encore fixé. Les faits reprochés sont les suivants : une partie de la soirée du 2 juin puis de la nuit du 2 au 3 juin 1968, l’accusée a attendu la partie civile, M. Andy Warhol, devant son atelier dénommé La Factory, sis 33 Union Square. Lorsque la partie civile revient à son atelier vers 2 heures du matin, l’accusée se présente et tire trois coups de feu au niveau du torse l’atteignant à la poitrine, l’abdomen, le foie, la rate –
VALERIE : – l’œsophage –
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : – les poumons. Il est rapporté que la partie civile, M. Andy Warhol, a imploré à genoux : « Non, non Valerie. Ne fais pas ça. Je t’en supplie, Valerie. » Andy Warhol se trouve actuellement sous respirateur artificiel à l’hôpital Columbus – Mother Cabrini. De fait, il est toujours impossible de déterminer si le chef d’accusation doit être qualifié de tentative de meurtre ou d’assassinat.
(Un temps)
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Savez-vous quel jour nous sommes ?
VALERIE : Je sais que j’aurais dû m’entraîner un peu plus, monsieur.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Savez-vous ou vous vous trouvez à l’heure actuelle ?
VALERIE : Autant que je puisse le constater je ne me trouve nulle part où j’aimerais me trouver.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Avez-vous un avocat ?
VALERIE : Non, mais je sais que je n’aurais rien contre le fait de me trouver hors de cette histoire.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Avez-vous besoin d’un avocat ?
VALERIE : J’ai besoin d’un baiser.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Je vous demande si vous avez besoin d’un avocat.
VALERIE : Je regrette d’avoir raté. Si un avocat peut m’aider à parfaire ce que je n’ai pas fait jusqu’au bout, dans ce cas je veux bien un avocat.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Vous souvenez-vous du mobile qui vous a poussée à tirer sur Andy Warhol ?
VALERIE : Bien trop souvent hélas. Dans le cas qui nous occupe, il y avait une personne qui exerçait sur ma vie un contrôle totalement démesuré et j’avais, pour faire court dans cette histoire, un peu de mal à m’y habituer.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Pourquoi avez-vous tiré sur Andy Warhol ?
VALERIE : Vous n’avez qu’à lire mon manifeste. C’est une très bonne lecture. Il vous racontera d’ailleurs tout sur celle que je suis.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Vous vous êtes dénoncée hier à un agent de la circulation en faction sur la Cinquième Avenue. Pourquoi ?
VALERIE : Mais parce que je voulais un peu de compagnie, voyons. Parce que je m’ennuyais. Et puis il m’a l’air fort sympathique, ce William Schmalix. Et bourré de talent, en plus. Je n’avais jamais vu avant lui de policier aussi petit, et malgré tout il a réussi à m’arrêter.
COUR D’ASSISES DE MANHATTAN : Je vous pose une dernière fois la question au sujet de l’avocat. Vous allez avoir besoin d’un défenseur public. L’Etat ne prend pas en charge les frais d’avocat. Avez-vous les moyens de vous payer un avocat ?
VALERIE : Je veux assurer ma défense moi-même. Ceci, à la différence d’un tas d’autres choses, va demeurer entre mes petites mains expertes.