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Acte I, scène 1

Extrait

Acte I, scène 1. La Marquise /Lisette

 

LA MARQUISE.

Eh ! Ce que je dis là n'est que trop vrai : il n'y a plus de consolation pour moi, il n'y en a plus ; après deux ans de l'amour le plus tendre, épouser ce que l'on aime ; ce qu'il y avait de plus aimable au monde, l'épouser, et le perdre un mois après !

 

LISETTE.

Un mois ! C'est toujours autant de pris. Je connais une dame qui n'a gardé son mari que deux jours ; c'est cela qui est piquant.

 

LA MARQUISE.

J'ai tout perdu, vous dis-je.

 

LISETTE.

Tout perdu ! Vous me faites trembler : est-ce que tous les hommes sont morts ?

 

LA MARQUISE.

Eh ! Que m'importe qu'il reste des hommes ?

 

LISETTE.

Ah ! Madame, que dites-vous là ? Que le ciel les conserve ! Ne méprisons jamais nos ressources.

 

LA MARQUISE.

Mes ressources ! À moi, qui ne veux plus m'occuper que de ma douleur ! Moi, qui ne vis presque plus que par un effort de raison !

 

LISETTE.

Comment donc par un effort de raison ? Voilà une pensée qui n'est pas de ce monde ; mais vous êtes bien fraîche pour une personne qui se fatigue tant.

 

LA MARQUISE.

Je vous prie, Lisette, point de plaisanterie ; vous me divertissez quelquefois, mais je ne suis pas à présent en situation de vous écouter.

 

LISETTE.

Ah çà, Madame, sérieusement, je vous trouve le meilleur visage du monde ; voyez ce que c'est : quand vous aimiez la vie, peut-être que vous n'étiez pas si belle ; la peine de vivre vous donne un air plus vif et plus mutin dans les yeux, et je vous conseille de batailler toujours contre la vie ; cela vous réussit on ne peut pas mieux.

 

LA MARQUISE.

Que vous êtes folle ! Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.

 

LISETTE.

N'auriez-vous pas dormi en rêvant que vous ne dormiez point ? Car vous avez le teint bien reposé ; mais vous êtes un peu trop négligée, et je suis d'avis de vous arranger un peu la tête. La Brie, qu'on apporte ici la toilette de Madame.

 

LA MARQUISE.

Qu'est-ce que tu vas faire ? Je n'en veux point.

 

LISETTE.

Vous n'en voulez point ! Vous refusez le miroir, un miroir, Madame ! Savez-vous bien que vous me faites peur ? Cela serait sérieux, pour le coup, et nous allons voir cela : il ne sera pas dit que vous serez charmante impunément ; il faut que vous le voyiez, et que cela vous console, et qu'il vous plaise de vivre.

 

On apporte la toilette. Elle prend un siège.