LAGARCE. Travail immense‚ s’épuiser‚ sur Le Pays lointain. S’épuiser‚ s’abrutir‚ exactement cela.

Avons fait un filage de la pièce. Je ne sais pas trop quoi en penser.

Les acteurs avaient l’air plutôt satisfaits. Après quelques doutes cette semaine que je voyais naître ici ou là‚ il semblerait que de l’avis général‚ je fais « une mise en scène » et « qu’on n’avait pas pensé qu’il y avait tout ça » dans le texte...

Faire un spectacle pour six fois me paraît une folie‚ un travail épuisant‚ alors que je pourrais me reposer‚ travailler dans ma chambre.

Je suis certains jours aux limites de l’épuisement et tout le monde me regarde avec inquiétude‚ ce qui ne détend pas l’ambiance.

Je vis seul au milieu du groupe. Dînant souvent seul dans ma chambre‚ n’allant pas boire un verre le soir avec les acteurs.
Je ne sais rien. Je suis là à faire mon travail et à ne plus croire à rien.

Nous risquons – je crois cela – nous risquons un spectacle très conventionnel. Mais je suis peut-être définitivement un metteur en scène très conventionnel.

Tout ce dernier travail consiste à serrer les boulons. C’est mon affaire. Mon histoire.

Les acteurs semblent creuser avec dureté et âpreté le sillon, même si certains sont humainement épuisants.

C’est d’un sérieux effrayant.

Je ne sais pas. Mon angoisse est au milieu d’un superbe décor mortuaire dans des lumières de fin du monde et dix personnes sur la pointe des pieds tournant autour de ça.

Il y a toujours un moment terrible d’abandon dans les théâtres quand tout est prêt‚ que les techniciens sont sortis boire un verre‚ que les acteurs sont dans leurs loges à se préparer‚ être là‚ un peu rejeté‚ sans place à soi.

C’est juste la vie d’un metteur en scène.

Peu à peu‚ l’isolement imperceptible par rapport aux comédiens.

Nous verrons.

 

 

Louis. – Plus tard‚ l’année d’après.

 

 

L’amant‚ mort Déjà. – Une année après que je meurs‚ que je suis mort ?

 

LAGARCE. Exactement ça.

 

Louis. – L’année d’après‚

j’étais resté‚ là‚ seul‚ abandonné‚ toutes ces sortes de choses‚

plus tard‚ l’année d’après‚

– j’allais mourir à mon tour –

(j’ai près de quarante ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai)

l’année d’après‚ je décidai de revenir ici. Faire le chemin à l’inverse.

 

Longue Date. – Histoire d’un jeune homme qui décide de revenir sur ses traces‚ revoir sa famille‚ son monde‚ à l’heure de mourir.

Histoire de ce voyage et de ceux-là‚ perdus de vue‚ qu’il rencontre et retrouve.

 

Louis. – Il y a encore ma famille qui vit dans ce coin-là. Je vais aller les voir‚ je dis ça‚ parler avec eux‚ régler cette affaire‚

ce qu’on n’a pas dit et qu’on souhaite dire avant de disparaître

je ferai ce voyage et ensuite‚ j’en aurai terminé‚ je rentrerai chez moi et j’attendrai.

Je serai paisible.

Je dis ça.