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EXTRAIT Acte III, scène 2 :
Rosalinde (déguisée sous le nom de Ganymède) – Dites donc, forestier – vous m’entendez ?
Orlando – Très bien. Que voulez-vous ?
Rosalinde – Que dit l’horloge, s’il vous plaît ?
Orlando – Vous devriez me demander quelle heure il est au soleil. Il n’y a pas d’horloge dans la forêt.
Rosalinde – Alors, il n’y a pas de véritable amoureux dans la forêt. Autrement, un soupir à la minute et un gémissement par heure baliseraient la marche indolente du temps aussi bien que l’horloge.
Orlando – Et pourquoi pas la marche rapide du temps ? Cela n’aurait-il pas été aussi juste ?
Rosalinde – Nullement, monsieur. Le temps passe à des allures différentes selon les personnes. Je vous dirais bien pour qui le temps va l’amble, pour qui il trotte, pour qui il galope, et pour qui il reste immobile.
Orlando – Il trotte pour qui, peut-on savoir ?
Rosalinde – Pardi, il va au grand trot pour une jeune fille entre le jour de la promesse de mariage et celui des noces. L’intervalle ne serait-il que de sept jours, l’allure du temps y est si inconfortable que cela lui semble durer sept ans.
Orlando – Pour qui le temps va-t-il à l’amble ?
Rosalinde – Pour un prêtre qui ne sait pas de latin et un riche qui n’a pas la goutte ; car l’un, incapable d’étudier, a le sommeil facile, et l’autre, ne ressentant aucun mal, mène joyeuse vie. Celui-là ignore le fardeau du savoir qui use et amaigrit ; celui-ci ne connaît pas le fardeau accablant de la misère persistante. Pour ces gens-là, le temps va l’amble.
Orlando – Pour qui galope-t-il ?
Rosalinde – Pour le voleur qu’on mène à la potence ; car, si posément qu’il mette le pied par terre à chaque pas, il estime y arriver trop tôt.
Orlando – Et pour qui reste-t-il immobile ?
Rosalinde – Pour les gens de loi pendant les vacations ; car d’une session à l’autre ils dorment et ne voient donc pas le temps passer.