accueil > Bibliographie des idées
Edouard GLISSANT ou « la pensée du tremblement »
« Elle ne répond ni à la peur, ni au doute, ni à l’incertitude.
Elle résiste aux raidissements des pensées de système et aux emportements des systèmes de pensée.
Elle maintient tout système dans ses formes méthodologiques et le garde de verser dans des absolus.
Elle ouvre l’identité sur le rapport à l’Autre et sur le change qui provient alors de l’échange, sans que cette identité en soit perturbée ni dénaturée.
Elle est la pensée sismique du monde qui tremble en nous et autour de nous.
Elle en revient à ce passage, à ce suspens du jugement, et peut-être de l’Etre, que Montaigne a si génialement prétendus, comme à la fréquentation, non à la possession, de la terre, proposée par les pensées amérindiennes, comme à la fonction tellurique de la lignée des ancêtres, jamais close ni excluante, chantée par les peuples de l’Afrique des Griots.
Les catastrophes frappent le monde, l’espoir vient aussi de partout. » (Pages 128-129)
« La pensée archipélique est une pensée du tremblement, qui ne s’élance pas d’une seule et impétueuse volée dans une seule et impérieuse direction, elle éclate sur tous les horizons, dans tous les sens, ce qui est l’argument topique du tremblement. Elle distrait et dérive les impositions des pensées de système.
Le Monde tremble, se créolise, c’est-à-dire se multiplie, mêlant ses forêts et ses mers, ses déserts et ses banquises, tous menacés, changeant et échangeant ses coutumes et ses cultures et ce qu’hier encore il appelait ses identités, pour une grande part massacrées.
La pensée archipélique tremble de ce tremblement, bouleversée de ces crises géologiques, traversée de ces séismes humains, elle repose pourtant auprès des rivières qui enfin s’apaisent et des lunes qui, languides, s’attardent. Mais elle n’est pas, cette pensée, un seul emportement indistinct, ni une plongée sourde aux profondeurs, elle chemine selon des réseaux qui s’attirent et qui n’abandonnent aucun donné du monde loin du monde. Elle ouvre sur ce que Montaigne appelait « la forme entière de l’humaine condition », la forme, non pas l’Un, ni une essence, mais une Relation dans une Totalité.
Le tremblement est la qualité même de ce qui s’oppose à la brutale univoque raide pensée du moi hormis l’autre. Aurons-nous la hardiesse de rapprocher ces limailles, sans trop attendre de la compassion n’est souveraine que quand elle exige résolument et continûment la justice, la loi n’est juste que quand elle s’inspire sans limites de la pensée du Tout. »
Extrait du site www.edouardglissant.fr
Sarah SCHULMAN (Présentation des Editions B42)
« Dans cet essai, Sarah Schulman fait le pari de lier les relations intimes, les luttes contemporaines autour du racisme ou du sida et la politique internationale.
Elle met en avant la persistance, ici et là, de fallacieuses accusations d'agressions mobilisées pour décliner la responsabilité de chacun dans une situation conflictuelle.
Ce travail profond, aussi courageux qu'impertinent, montre comment la sanction et la répression prennent le pas sur l'auto-analyse à l'échelle individuelle et collective, et comment l'altérité sert de justification à la violence et à l'exclusion.
En décrivant l'action de "groupes nuisibles" dans les mécanismes de l'engrenage de la violence, Schulman expose la manière dont les groupes affinitaires, les communautés, les familles, ainsi que les groupes religieux, ethniques ou nationaux tissent des liens à travers leur refus, partagé, de changer leur manière de se percevoir mutuellement. Elle montre également comment les comportements dominants et les comportements traumatisés se rapprochent par leur commune incapacité à tolérer les différences des autres.
Le Conflit n'est pas une agression est un livre à la fois militant, géopolitique, témoignage historique et essai féministe. Pouvant aussi bien servir de manuel comportemental pour la vie en collectivité que de guide militant permettant de comprendre les grands enjeux sociétaux de ces dernières années, il analyse en détail des événements tels que le conflit israélo-palestinien, Black Lives Matter, ou encore la lutte contre le sida et fait remarquablement écho à des événements antérieurs à sa publication, comme l'affaire Weinstein et le mouvement Me too.
Plus largement, cet ouvrage tente d'offrir des solutions à une question complexe : comment désamorcer un conflit ? En distinguant le conflit de l'agression,
Sarah Schulman revalorise la notion même de conflit et lui offre une valeur tant ontologique que symbolique. Loin de constituer une agression, celui-ci doit être mis en avant comme une façon d'entamer le dialogue entre les différentes strates constituant la société, en dépit des questions de nationalité, classe sociale, race et/ou genre. »