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La nouvelle direction de La Pop m’a proposé, à l’automne 2015, de réfléchir à la création d’un « récital augmenté ». Peu à peu a germé l’idée d’une forme qui mettrait en jeu certaines questions croisées lors de ma précédente création, The Haunting Melody, et qui – sans mauvais jeux de mots – n’ont cessé de me hanter. Qu’est-ce qu’écouter veut dire ? Quels bruits, quels sons, quelles musiques font vibrer nos tympans ? Quelle mémoire et quelle histoire abritent les plis de nos oreilles ? Quelle serait la bande-son de nos vies ? Quel rapport au monde nos oreilles engagent-elles ?
J’ai aujourd’hui l’opportunité de continuer à creuser ce sillon de l’écoute. Je souhaiterais cette fois inscrire la thématique dans une forme très directe et moins théâtrale, qui s’apparenterait au concert : un concert sur l’écoute pour s’essayer en live à dresser l’oreille ensemble.
Je l’imagine comme une prolongation de la réflexion de Peter Szendy qui s’interroge dans Écoute, une histoire de nos oreilles, sur la possibilité de partager une écoute, de faire entendre sa perception d’un morceau et de la transmettre, une interrogation en forme d’utopie : est-ce que tu entends ce que j’entends ?
L’art du savoir-écouter
Il va sans dire que l’interprétation du musicien, sensible et personnelle, est déjà et toujours une tentative de donner à entendre son écoute. Dans l’histoire de la musique, les arrangeurs ont même tenté d’écrire leur écoute d’une œuvre, s’autorisant à l’investir et à la transformer. Mais comment dire ou partager son écoute quand on n’est pas musicien ? En jouant des mots pour expliquer ? Du tourne-disque pour répéter, reprendre, réécouter encore et encore ?
Du volume pour accentuer ou étouffer telle ou telle partie d’un morceau ?
Une figure s’impose aujourd’hui comme l’archétype du bon auditeur partageant son écoute : le DJ. Je partirai de cette figure pour penser ce concert sur l’écoute. Le DJ est l’auditeur par excellence car il est, d’une certaine manière, l’auditeur se produisant en concert. Son art repose davantage sur un savoir-écouter que sur le savoir-jouer du musicien.
J’ai par ailleurs construit tous mes spectacles en commençant par en imaginer la bande-son, par en établir la playlist intégrant toujours divers genres musicaux et piochant pêle-mêle dans des sons réels, des bandes-son de films, des extraits de dialogues, ou encore des voix off. Ce matériau participe pleinement de l’écriture de mes spectacles. Je voudrais aujourd’hui partager et mettre en scène cette bande-son comme un DJ.
Une histoire de nos oreilles
La pratique du DJ se caractérise par la maîtrise du bon enchaînement et par le choix averti des morceaux. J’aimerais pour ma part également faire entendre, à travers eux, grâce à eux, entre deux morceaux ou à l’intérieur même des plages sonores, un certain nombre de questionnements qui ont jalonné l’histoire de la musique et du son jusqu’à aujourd’hui. Je pense notamment à Luigi Russolo et à son Art du bruit, Robert Murray Schaeffer et ses paysages sonores, Vladimir Jankélévitch et sa réflexion sur l’ineffable de la musique, Theodor W. Adorno et sa typologie assassine des auditeurs de notre époque ou encore et surtout
Peter Szendy, défenseur d’une égalité des écoutes.
Ces extraits, mis en musique pour la plupart, proposent aux spectateurs-auditeurs, par l’expérience du concert et à travers elle, de s’interroger pleinement sur ce qu’écouter veut dire, en rythme et en cadence. Les allers-retours de la bande-son du concert à son argumentaire théorique multiplient les points de vue et les points d’écoute pour parvenir peut-être à se faire entendre… écouter.
Mathieu Bauer