accueil > À double tranchant
Le héros principal du présent ouvrage, c’est la relation humaine. Les personnages importants en sont les hommes et les femmes, nos contemporains, désespérés de ne devoir compter que sur leurs seules méninges, éprouvant un sentiment d’inutilité flagrant, recherchant ardemment la sécurité de l’unité ainsi qu’une main charitable à laquelle se fier en cas de besoin, ils languissent d’ « établir des rapports avec autrui » et pourtant, l’état d’ « être en rapport » les fait hésiter, en particulier celui du rapport « pour de bon », sans parler de « pour toujours », dans la mesure où ils craignent que cela leur impose des charges et leur cause des pressions qu’ils ne se sentent ni aptes ni disposés à supporter et qui, dès lors, peuvent sérieusement limiter la liberté dont ils ont besoin – oui vous l’avez deviné – pour établir des rapports…
Dans notre monde d’ « individualisation » luxuriante, les relations sont à double tranchant. Elles hésitent entre le rêve agréable et le cauchemar, sans que l’on puisse prévoir à quel moment l’un deviendra l’autre. La plupart du temps, ces deux avatars cohabitent – à des niveaux de conscience différents, toutefois. Dans un cadre de vie moderne liquide, les relations constituent peut-être les incarnations les plus communes de l’ambivalence, les plus vives, les plus pénibles, celles que l’on ressent le plus profondément.
Zygmunt Bauman,
Liquid Love, 2003
(L’Amour liquide : De la fragilité des liens entre les hommes,
tr. fr. par Christophe Rossoh, Pluriel, 2010)